Buzzati qui fut fan de montagne à tel point qu'il n'a jamais dormi sans rêver de montagne, se demande lui aussi au soir de sa vie : "Cette passion de la montagne n'a-t-elle été qu'une manie gratuite, une fixation, un asservissement à la mode, une ambition égoïste, vaine comme toute ambition ?"
Et il se pose alors la question: "Pourquoi diable la montagne exerce-t-elle une si puissante et singulière attraction, cette terrible fascination ?"
Il dit ensuite qu'une des théories les plus intelligentes qu'il ait lue est celle de Samivel, puis il donne son point de vue:
"Quatre éléments évident sont présents en montagne: la solitude, l'immensité des proportions, la sauvagerie et l'éloignement... mais la mer, les déserts, la forêt vierge sont eux aussi solitaires, immenses, sauvages, et éloignés. Non, ce qui distingue la montagne c'est la verticalité et l'immobilité. Le plus important étant l'immobilité qui s'impose, en trois dimensions. Et pourquoi cela attire-t-il ? Parce que l'homme tend à un état de tranquillité absolue.
Oui, l'home aspire inconsciemment au repos. Et c'est pour cela que la vue de la montagne, image parfaite de l'état vers lequel il tend, lui procure un sentiment d'apaisement. Mieux encore : cela provoque chez l'homme le désir confus d'adhérer, de s'adapter, de s'identifier à tant d'immobilité, d'en prendre enfin possession. D'où l'alpinisme. Le fait que les montagnes s'achèvent en pointe stimule et facilite notre désir de les posséder, ce qui dans le cas d'un désert serait impossible..."
(D. Buzzati, Montagnes de verre, Ed. Guérin, Chamonix)
Photo : Sous la pointe Lachenal (Mt Blanc) - avril 2007